Manuel de l’art de la perfection : Philippe Dufour

Nous entendons ou disons souvent : « Cette montre est une œuvre d’art… » Bien sûr, il s’agit d’une façon de parler pour montrer notre appréciation, mais quand est-ce qu’elle est vraiment qualifiée comme telle ? As-tu déjà réfléchi à la question ?

Je me souviens très bien de la première fois que j’ai entendu parler de cette juxtaposition entre l’art et l’horlogerie et j’ai été étonné qu’un tel M. Philippe Dufour parle en ces termes de sa profession. Cela peut sembler arrogant de sa part, mais ce n’est pas le cas… Dufour décrit et parle de son travail avec une telle passion et une touche d’ironie qu’il parvient à transmettre ce qu’il pense d’une manière polie et élégante. Si ses mots ne font pas l’affaire, n’importe quelle montre fabriquée par lui fera l’affaire et lèvera tous les doutes !

L’art en horlogerie peut être négligemment confondu avec le génie, et personne n’enlève à ces horlogers qui modifient le concept de la montre, dans certains cas par l’ajout de complications de toutes sortes ou par des simplifications mécaniques, peut-être plus admirablement encore, le fait qu’ils sont des génies. Et Dufour ne se considère pas comme tel, il sait qu’il n’est pas un inventeur. Comme il se doit, il fait ce qu’il sait faire avec la prérogative de le faire au mieux ; des choses simples et parfaites avec la valeur ajoutée des finitions faites à la main ! Car pour Dufour, c’est de l’art.

Tu peux essayer de nouvelles voies, de nouveaux matériaux, de nouveaux concepts… mais si tu proposes un classique et quelque chose de déjà inventé alors tu dois le rendre parfait en prêtant attention au moindre détail pour offrir au client ce qu’il ne peut pas trouver dans un produit industriel fabriqué en série. Chaque client collectionneur est constamment à la recherche de la perfection que seule une machine électronique pourrait donner mais que seule la main de l’homme peut rendre unique avec ses limites savamment contrôlées.

Les machines contrôlées donnent la plus grande précision et c’est une bonne chose. Maître Dufour ne renie pas la technologie, il n’y voit juste pas d’émotion… et c’est là que son art commence. Prendre une base produite par la technologie moderne et en modifier les éléments comme nous l’avons vu, avec ce raffinement et cette recherche de l’excellence dans les détails, n’est que le résultat d’une habileté rare et superfine.

À ce stade, j’ai été amené à réfléchir à la signification que nous donnons aujourd’hui au mot « manufacture » et que nous utilisons souvent comme valeur absolue pour juger une montre. Pour nous, la fabrication est « faite en interne » ou sur place dans le cas des grandes industries, mais le sens plus ancien serait « fait à la main » de manière artisanale. Je crois que les deux ont leur prestige et qu’il ne tient qu’à nous de décider ce qui nous excite le plus. Philippe Dufour ne peut pas être considéré comme une manufacture moderne mais certainement, là où il intervient avec l’artisanat qui lui appartient, il reflète le sens plus ancien du terme.

Une montre Philippe Dufour ne se trouve pas dans les vitrines, elles sont commandées par de riches collectionneurs qui devront certainement attendre plus d’une année le travail du maître avant de pouvoir aller la chercher en personne et rencontrer Philippe, pouvoir lui parler, voir son petit atelier, comprendre comment un chef-d’œuvre aussi personnel a été réalisé (secrets mis à part), respirer l’atmosphère qui entoure son atelier de la Vallée de Joux.

As-tu vu la « Anglage » (définition dans le glossaire des montres de classe) ? Pourtant ce n’est pas une macro-photo ci-dessus ; tu as remarqué qu’on les voit très bien même sur ces photos prises de plus loin. Des angles si arrondis et polis qu’il n’y a pas besoin d’un monocle pour les voir et c’est dire si le travail doit être parfait, ces polissages en miroir, les arêtes sur les ponts, les biseaux… tous visibles de loin et laissant ensuite le propriétaire à la douce découverte des détails les plus cachés en s’approchant de plus en plus près ! Tu dois savoir (je m’adresse aux moins expérimentés et peut-être à ceux qui regardent moins les détails) qu’à ce niveau de finition et de difficulté d’exécution, il n’y a pas de machines capables de remplacer la main de l’homme, et il n’y a pas de main de l’homme capable d’atteindre une telle perfection si elle n’est pas mue par une énorme expérience et la connaissance de techniques presque inconnues !

Je crois que l’horlogerie mécanique mérite un respect particulier, un respect qu’elle a gagné au fil du temps en prouvant la validité de son mécanisme (on utilise plus ou moins le même aujourd’hui qu’il y a deux siècles), en sapant en partie l’ère du quartz et en revenant sur le devant de la scène pour une pure question de nostalgie des choses belles et techniquement difficiles… mais aussi pour un aspect plus romantique auquel le maître Dufour appartient à juste titre, celui de donner une âme à une montre ! Pour moi, le nom de Philippe Dufour devrait se porter au creux de la main plutôt qu’au poignet.

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